Les défis de la conciliation travail-famille au Québec

Diane-Gabrielle Tremblay

Au cours des dernières années, les débats sur la conciliation travail-famille ont été très importants au Québec, et récemment, une cause amenée devant les tribunaux canadiens a soulevé la question des possibilités pour les salariés de demander des aménagements de leur temps de travail pour mieux concilier le travail et la famille. Si certains pays offrent de telles options (Grande-Bretagne, Pays-Bas et quelques autres), l’application concrète de cette possibilité n’a pas fait l’objet de beaucoup d’analyses et les quelques documents que nous avons pu consulter semblent restreindre cette possibilité, parfois présentée comme un droit, mais un droit apparemment limité par diverses contingences.

Conciliation emploi-famille et temps sociauxPourtant, au Québec, de nombreuses études ont mis en lumière l’intensification d’un conflit entre emploi et famille. Ce conflit s’explique par le manque de temps auquel sont confrontés les parents, ce qui se traduit par un conflit entre les moments qu’ils affectent au travail et ceux qu’ils consacrent – ou qu’ils souhaitent consacrer – à la famille et à d’autres activités (politiques, sociales, culturelles), comme nous l’avons montré dans notre livre Conciliation emploi-famille et temps sociaux. Ce sont souvent ces dernières activités, liées à la vie citoyenne, sportive ou autres, qui sont exclues; les parents commencent par les remettre à plus tard et finissent par les exclure complètement de leur vie, car les responsabilités parentales et professionnelles prennent l’essentiel, voire tout le temps disponible.

Articuler emploi et familleCertains semblent penser que les parents n’ont plus de difficulté, aujourd’hui, à concilier emploi et famille puisque le Québec dispose d’une politique familiale et d’un nouveau congé parental depuis 2006, mais il n’en est rien. Si les pères québécois participent effectivement de plus en plus au congé de paternité nouvellement créé (80 % d’entre eux le prennent, contre 20 % lorsqu’ils pouvaient simplement partager le congé parental canadien avec la mère), ce n’est pas le cas dans tous les milieux, et les pratiques d’engagement des pères varient selon les milieux. Il faut reconnaître que le soutien organisationnel n’est pas le même dans tous les secteurs, comme nous avons pu le montrer dans notre ouvrage Articuler emploi et famille : le rôle du soutien organisationnel au cœur de trois professions (infirmières, travailleuses sociales et policiers).

En fait, une fois le congé de maternité ou parental terminé, la vraie conciliation entre les activités parentales et professionnelles commence. Or, comme les services de garde et autres mesures ne sont pas toujours parfaitement adaptés aux nouvelles réalités du travail, les difficultés peuvent parfois être importantes. En effet, les services de garde offrent des heures d’ouverture limitées (généralement de 7 h à 18 h), alors que les horaires de travail sont de plus en plus variables puisque les heures d’ouverture des services publics et des commerces privés s’étendent parfois vers les temps privés et obligent les parents travailleurs à être présents sur les lieux de travail en soirée ou les weekends. 3751D-Couvert recherches.inddOn observe de plus en plus d’exigences de présentéisme ou de présence longue au travail, et les temps de travail prescrits ne conviennent pas toujours à la vie familiale, de sorte qu’il est souvent difficile pour les parents de les articuler avec leurs temps personnels (voir l’ouvrage collectif Temporalités sociales, temps prescrits, temps institutionnalisés). Par ailleurs, les entreprises elles-mêmes offrent peu de flexibilité d’horaires à leurs employés, comme nous avons pu le constater dans des recherches que nous avons menées au fil des ans sur un ensemble de secteurs, dont ceux évoqués plus haut (policiers, travailleuses sociales, infirmières et secteur de la santé et éducation plus généralement, ainsi que plus récemment avocats). Cette rigidité des horaires, comme le refus de plusieurs entreprises d’accorder le droit à leurs salariés de faire du télétravail, occasionnent évidemment des difficultés pour les parents-travailleurs, qui souhaiteraient se faciliter la vie. Enfin, la division sexuelle du travail entre les hommes et les femmes ne s’est pas modifiée considérablement, ce qui fait que les femmes continuent d’assumer l’essentiel des responsabilités familiales et des tâches domestiques, de sorte que le « double fardeau » continue de reposer assez fortement sur leurs épaules.

Pourtant, plusieurs études ont souligné le fait que ce conflit entre les heures de travail et le temps que l’on souhaite affecter à la famille et à d’autres activités entraîne des conséquences néfastes non seulement pour les employés, mais aussi pour les employeurs. Pour les employés, les effets peuvent se traduire par des problèmes de relations familiales et affectives, par un manque de satisfaction au travail, ainsi que par des problèmes de santé et de stress. Pour les employeurs, les inconvénients sont notamment le coût économique de l’absentéisme, les pertes liées à une diminution de la motivation et du rendement, la résistance à la mobilité et aux promotions, le roulement élevé de personnel, la difficulté d’attirer et de retenir un personnel qualifié, ainsi que la formation insuffisante de la main-d’œuvre. Étant donné ces coûts importants, déjà mis en évidence dans des travaux du Conference Board du Canada, mais aussi dans de nombreuses autres études, on s’étonne que les employeurs n’aient pas encore adapté leurs pratiques.

Pourtant, les besoins iront grandissants, car outre les responsabilités parentales à l’endroit des enfants, le vieillissement de la population entraîne des obligations de plus en plus importantes à l’endroit des parents âgés, et l’on commence à s’interroger sur le droit des proches aidants à obtenir des aménagements de temps de travail pour mieux accomplir leurs responsabilités à l’endroit de leurs propres parents. Ainsi, avec le vieillissement de la population québécoise, le débat sur la conciliation entre les responsabilités familiales/parentales et professionnelles est loin d’être fini…

Diane-Gabrielle Tremblay est professeure à la Téluq de l’Université du Québec, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux socio-organisationnels et directrice de l’ARUC (Alliance de recherche Université-Communauté) sur la gestion des âges et des temps sociaux.

dgtrembl@teluq.ca

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